Presse

  • “5 étoiles, à ne pas manquer”

    Album des quatre Concertos de Mozart, paru en octobre 2024 chez Hänssler Classic

    Voici une offre à la fois intéressante et délicieuse : deux concertos précoces de Mozart avec des formations conventionnelles et deux concertos de l'époque viennoise dans leurs versions pour quintette, tous présentés dans des interprétations vibrantes et passionnantes. Mais attendez ! Des versions pour quintette des concertos pour piano ? Oui, quelques concertos pour piano de Mozart, ceux dont les parties pour instruments à vent sont relativement simples, ont été publiés avec la mention qu'ils « peuvent être interprétés soit avec un grand orchestre comprenant des instruments à vent, soit simplement avec un Quattro, riz. avec 2 violons, un alto et un violoncelle ». Après tout, les éditeurs voulaient vendre autant d'exemplaires que possible et tous les acheteurs potentiels ne disposaient pas d'un orchestre de chambre à leur disposition. Cela n'aurait pas été possible avec la plupart des œuvres tardives de Mozart dans ce genre, où les parties complexes pour instruments à vent occupent une place prépondérante. Des versions pour quatuor à cordes de certains concertos ont déjà été enregistrées. Une belle interprétation du K. 414 avec Alfred Brendel et le Quatuor Alban Berg est sortie en 2000 (apparemment non chroniquée dans Fanfare).

    Je ne connaissais pas encore Ciocarlie. Née en Roumanie en 1968, elle a étudié à Paris avec Vlado Pludermacher et Dominique Merlet. Elle enseigne depuis plusieurs années à l'Académie nationale de musique de Lyon. Elle a enregistré de nombreux albums, tant en solo qu'en musique de chambre. Quelques-uns ont été chroniqués dans Fanfare et ont tous, sans exception, été bien accueillis.

    Les deux concertos K. 246 et K. 271 sont interprétés avec brio et dynamisme par un petit orchestre de chambre (formation à cordes 5-5-3-2-2). Le concerto K. 271 est de loin l'œuvre la plus substantielle et est généralement considéré comme le premier grand concerto de Mozart, voire sa première grande œuvre tous genres confondus (ses seuls rivaux sérieux étant les Symphonies n° 25 et 29). Dans ce concerto, on remarque un rythme entraînant et une tonalité brillante dans le tutti d'ouverture, bien soutenu après l'entrée du Yamaha de Ciocarlie. Les passages sont d'une clarté cristalline et un rubato de bon goût est appliqué dans les longues sections solo. Les détails sont équilibrés avec une vision d'ensemble : la structure narrative du mouvement est clairement projetée. L'Andantino en do mineur, l'un des mouvements lents les plus longs de Mozart, transmet ici un réel sentiment d'innigkeit. Dans le finale, l'épisode lyrique central contraste agréablement avec les sections extérieures énergiques.

    Dans les versions pour quintette des K. 414 et K. 415, l'interaction entre le piano et les cordes solistes révèle de nombreux détails subtils difficiles à percevoir dans un arrangement orchestral classique. Le premier violoniste Benaïm, qui a le plus à faire, joue avec un son séduisant. Peut-être parce qu'il s'agit d'enregistrements live, on note quelques petits défauts dans l'ensemble, mais ils n'altèrent en rien l'effet global. La configuration solo fonctionne particulièrement bien dans K. 414, où la section des vents, absente, se compose uniquement de paires de hautbois et de cors. La version orchestrale de K. 415 utilise une section de vents beaucoup plus importante, comprenant des hautbois, des bassons, des cors, des trompettes et des tambours. À certains endroits, comme dans le tutti d'ouverture, le poids de l'orchestre complet me manque. Bien sûr, cela ne devrait pas être la seule représentation de ces concertos, mais ils constituent un complément fascinant aux versions conventionnelles. Pour les auditeurs qui s'intéressent à l'interprétation du XVIIIe siècle, cela vaut certainement la peine. De plus, Ciocarlie est une pianiste qui mérite l'attention de tous. J'ai hâte d'entendre d'autres œuvres de Mozart interprétées par elle. Hautement recommandé.

    « Cinq étoiles » : des interprétations exceptionnelles, dont deux concertos dans leurs versions alternatives pour quintette.

    Version originale (EN)

    Here is an offering both interesting and delightful: two early Mozart concertos with conventional forces and two Viennese-era concertos in their quintet versions, all presented in vibrant and exciting performances. But wait! Quintet versions of Piano Concertos? Yes, a few Mozart Piano Concertos—those with relatively simple wind parts—were published with advertisement that they “may be performed either with a large orchestra with wind instruments or merely a Quattro, riz. with 2 violins, viola, and violoncello.” After all, publishers wanted to sell as many copies as possible and not all potential buyers had a chamber orchestra on call. This would not be possible with most of Mozart’s later works in the genre, where intricate wind writing is a prominent feature. String Quartet versions of some concertos have been recorded before. A fine account of K. 414 with Alfred Brendel and the Alban Berg Quartet was released in 2000 (apparently not reviewed in Fanfare).

    I had not yet made the acquaintance of Ciocarlie. Born in Romania in 1968, she studied in Paris with Vlado Pludermacher and Dominique Merlet. For some years she has taught at the National Academy of Music in Lyon. She has made a number of recordings of both solo and chamber repertoire. A handful have been reviewed in Fanfare; without exception they have been well received.

    Both K. 246 and K. 271 receive spirited, dynamic performances with a small chamber orchestra (string compliment is 5-5-3-2-2). K. 271 is the more substantial work by far and is generally regarded as Mozart’s first great concerto, perhaps his first great work in any genre (the only serious rivals are Symphonies No. 25 and 29). In this concerto one notices an attractive rhythmic snap and tonal sheen in the opening tutti, well sustained after the entrance of Ciocarlie’s Yamaha. Passagework is crystal clear and a good deal of tasteful rubato is applied in the extended solo sections. Detail is balanced with the long view—the structural narrative of the movement is clearly projected. The C-minor Andantino, one of Mozart’s longest slow movements, conveys a real sense of innigkeit here. In the finale, the central lyrical episode is nicely contrasted with the energetic outer sections.

    In the quintet versions of K. 414 and K. 415 the interaction between piano and solo strings reveals many subtle details difficult to hear in the standard orchestral setting. First violinist Benaïm, who has the most to do, plays with an attractive tone. Perhaps because these emanate from live performances, there are a few tiny glitches of ensemble, but they do not detract from the overall effect. The solo setting works particularly well in K. 414 where the absent wind section consists only of pairs of oboes and horns. The orchestral version of K. 415 uses a much larger wind section including oboes, bassoons, horns, trumpets and drums. Here there are a few places, such as the opening tutti, where I miss the weight of the full orchestra. Of course, this should not be one’s sole representation of these concertos, but they make a fascinating supplement to conventional versions. For listeners with an interest in eighteenth-century performance, this is certainly worthwhile. Moreover, Ciocarlie is a pianist meriting anyone’s attention. I look forward to hearing more Mozart from her. Highly recommended.

    “Five stars:” Outstanding performances, including two concertos in their alternative quintet versions.

  • “la pianiste incarne Mozart à la perfection”

    Album des quatre Concertos de Mozart, paru en octobre 2024 chez Hänssler Classic

    Après un enregistrement complet très remarqué consacré à Schumann, la pianiste roumaine Dana Ciocarlie nous propose aujourd'hui un album Mozart qui mérite d'être écouté. Elle interprète les deux concertos n° 12 et n° 13 accompagnée uniquement d'un quatuor à cordes : le son d'ensemble assez étroit, sans instruments à vent, manque certes de volume, mais permet une transparence cristalline de la structure (très belle dans le concerto n° 12). Dans les concertos n° 8 et n° 9, l'Open Chamber Orchestra accompagne avec sensibilité et une légèreté mozartienne. Avec son toucher précis et perlant et ses belles lignes mélodiques, la pianiste incarne Mozart à la perfection et parvient, surtout dans les premiers concertos, à créer un beau flux et un ton équilibré. Moins marqué par le contraste entre solo et tutti, cet enregistrement se distingue par une élégante simplicité et une belle sonorité.

    Version originale (DE)

    Die rumänische Pianistin Dana Ciocarlie lässt auf eine viel beachtete Schumann-Gesamtaufnahme nun hier einen hörenswerten Mozart folgen. Die beiden Konzerte Nr. 12 und Nr. 13 spielt sie nur von einem Streichquartett begleitet: Der recht schmale Gesamtklang ohne Bläser klingt zwar wenig voluminös, doch erlaubt er glasklare Durchhörbarkeit der Struktur (sehr schön im Konzert Nr. 12). Bei den Konzerten 8 und 9 begleitet das Open Chamber Orchestra gefühlvoll und mozartisch leicht. Mit ihrem pointierten perlenden Anschlag und schöner Linienführung formt die Pianistin einen treffenden Mozart und erreicht - vor allem in den frühen Konzerten - einen schönen Fluss und einen ausbalancierten Tonfall. Weniger von Solo-Tutti-Kontrast geprägt, dafür mit eleganter Schlichtheit und auf Schönklang bedacht.

  • “La princesse Dana”

    Album “Bubbles”, paru en octobre 2021 chez La Dolce Volta

    La pianiste roumaine Dana Ciocarlie ne cesse d'éblouir, seule ou accompagnée.

    Rendons grâce à La Dolce Volta, label actif depuis une décennie et dont les récentes publications illuminent notre fin d'année. Outre les remarquables programmes Schubert du Quatuor Hermès et du pianiste Jean-Mare Luisada, l'enthousiasmant parcours américain emprunté par Vanessa Wagner et Wilhem Latchoumia ou l'intégrale Brahms que continue de dessiner patiemment le pianiste Geoffroy Couteau, on chérira Bubbles, le pétillant assemblage proposé par Dana Ciocarlie. Dans un répertoire très ouvert - Poulenc Piazzolla, Mozart, Komitas, Satie, Schubert, Blaga, Glass, Bécaud - mais cohérent et d'une fantaisie communicative dans ses parties instrumentales comme chantées ou déclamées, la pianiste roumaine fait une nouvelle fois montre de toutes les qualités déjà décelées dans ses précédents albums (dont la formidable intégrale Schumann de 2017): un merveilleux toucher, qui la rapproche d'une Wilhelm Kempff ou d'une Clara Haskil, ainsi qu'une science du dialogue dont bénéficient Julie Depardieu, Juliette Armanet (et son père Jean-Pierre, compositeur, pour une première dédiée à la pianiste), Philippe Katerine, Anne Queffelec, Isabelle Georges, Pascal Contet, Gilles Apap ainsi qu'une Astrig Siranossian décidément très inspirée, tous conviés à la fête. Car oui, c'est bien une fête des sens et de l'esprit qui jaillit sous les doigts de Dana Ciocarlie. Et qui, on l'espère, la fera connaître à un plus large public.

  • “La magnifique somme schumanienne de Dana Ciocarlie”

    Intégrale de l'œuvre pour piano de Schumann, paru en octobre 2017 chez La Dolce Volta

    Connue pour ses affinités incontestables avec la musique de Robert Schumann, la pianiste roumaine Dana Ciocarlie nous livre une véritable somme avec ces treize disques comprenant l'œuvre intégrale pour piano seul du compositeur, enregistrée au fil de quinze récitals donnés dans le théâtre byzantin de la résidence de l'ambassadeur de Roumanie, anciennement hôtel de Béhague.

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  • “Magnifique et rare intégrale de l'œuvre pour piano de Schumann”

    Intégrale de l'œuvre pour piano de Schumann, paru en octobre 2017 chez La Dolce Volta

    La pianiste roumaine Dana Ciocarlie ne cesse d'éblouir, seule ou accompagnée.

    L'intégrale de l'oeuvre pour piano seul de Schumann, en "live" de surcroît, est une denrée fort rare. On a connu celles de Karl Engel, Reine Gianoli, Jörg Demus et, plus récemment, Eric Le Sage... Aucune ne nous comblait vraiment. On se réjouissait d'en espérer une de Catherine Collard, tant cette pianiste que les dieux nous ont enlevée trop tôt était investie du compositeur. Aurait-elle passé la main à Dana Ciocarlie, pianiste roumaine venue rejoindre Paris pour parfaire sa formation auprès de Victoria Melki, Dominique Merlet et Georges Pludermacher ? On retrouve ici, intensément habités et traduits, les idiomes schumanniens, ces termes allemands qui n'ont pas d'équivalents en français : le Fantasieren, l'Humor, la Sehnsucht, cette rythmique aussi, propre à la musique de Schumann, ces mouvances de l'humeur qui semblent improvisées pour traduire une profonde intimité. Dans le livret de la main de la pianiste, elle rappelle une lettre de Schumann de 1828 : "Ce que les hommes ne peuvent me donner, la musique me le donne; tous les hauts sentiments que je ne puis traduire, le piano les dit pour moi". Ce qui nous rappelle une autre phrase de son Journal Intime : "Je ne parlais pas volontiers de musique si ce n'est aux arbres et aux oiseaux". Et si Dana Ciocarlie connaît bien la musique de Schumann pour avoir animé pendant onze ans l'"Atelier du musicien" aux côtés de Jean-Pierre Derrien sur France Musique -où il était souvent question de l'atelier de Schumann, tout autre chose est de l'interpréter, de se laisser totalement habiter jusqu'à se perdre, se fondre dans le compositeur au bord du gouffre tout en gardant la maîtrise du jeu. Du grand art ! La pianiste avoue que l'entreprise d'une intégrale est un peu folle, mais elle était irrésistible pour elle, habitée depuis toujours par l'oeuvre du compositeur. En 1996, elle fut remarquée au Concours Robert Schumann de Zwickau où trente ans plus tôt, Elisso Virssaladze, autre grande schumannienne remportait le Grand Prix. Entre mars 2012 et octobre 2016 elle réalisa son rêve au Palais de Béhague, hôtel particulier du 7e arrondissement, résidence de l'ambassadeur de Roumanie. Quinze récitals en direct sur un excellent Yamaha CFX, une belle acoustique, des captations pour le label La Dolce Volta qui se trompe rarement dans le choix de ses interprètes. Dana Ciocarlie devait captiver le public car on n'entend aucun bruit de salle. Une intégrale indispensable pour pénétrer intimement cet univers bigarré de Schumann dont l'interprète nous confie un fil d'Ariane.

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  • “Dana Ciocarlie s'impose”

    Intégrale de l'œuvre pour piano de Schumann, paru en octobre 2017 chez La Dolce Volta

    Une intégrale de l'œuvre pour piano de Schumann ? Vite !, tirer les rideaux, décrocher le téléphone, comme si on venait de recevoir l'intégrale du Fugitif ou de Downton Abbey. Quatorze heures d'écoute continue, et pas une seconde de lassitude. Dana Ciocarlie, son héroine, arrive à tout tenir, des Fugues au sublime finale de la Fantaisie op. 17, de la poésie des Scènes d'enfants à la tellurique et fantasque Sonate n° 3... À aucun moment l'attention ne décroche, même dans les Etudes d'après Paganini dont les difficultés redoutables ne sont payantas ni pour l'interprète ni pour l'auditoire.

    Sur les ondes de France Musique, la musicienne aura consacré, avec Jean-Pierre Derrien, bien des émissions à l'œuvre pour piano de Schumann. Combien d'« Ateliers du musicien », combien de « Matins des musiciens », au fil des quatorze années - 2001 à 2015 - qu'aura duré cette collaboration passionnante 7 Heureux temps, hélas révolu, d'une Radio qui enseignait le plaisir de comprendre.

    Aucun bruit de salle ne vient perturber une somme pourtant erregistrée en public de mars 2012 à octobre 2016, dont chacun des treize CD est conçu comme un récital. Il manque parfois un soupçon de recul, d'ampleur, de longueur de sonorité à ce splendide Yamaha CFX, impeccablement accordé et réglé.

    Ciocarlie se distingue par un son clair et franc, des nuances subtiles. Les éclats orchestraux s'appuient sur des basses qui, l'espace d'un accord, sonnent comme « dix contrebasses ». Elle fait chanter le piano sans jamais forcer sa voix, sans jamais non plus confondre confiance et sentimentalité, sentiment et affectation, effervescence et déséquilibre psychologique. Voilà un Schumann moins tourné vers le mystère et le clair-obscur que porté par une ferveur tenue, capable de candeur comme de furie pianistique, alla Catherine Collard. Les trois sonates sont magnifiques par les prises de risques de ce jeu exalté et rigoureux : la Sonate n°1 évoque Elissa Virsaladze (Melodiya ou Classic Live) par son allure grandiose, Nikolai Lugansky (Vanguard) et Maurizio Pollini (DG) par son esprit clair et sa lumière ; la n° 3 en impose par son ampleur symphonique, sa mobilité expressive, son caractère haletant. La maîtrise instrumentale de la pianiste peut faire quelques envieux.

    Les Scènes d'enfants et les Scènes de la forêt sont admirables par leurs atmosphères, la justesse des tempos, des nuances, l'intériorité et le naturel du propos. Au sommet, je placerais également les Davidsbundlertänze malgré un tout début un peu rude, les Études symphoniques et les Posthumes (jouées isolément), pour la souplesse avec laquelle elles sont enchaînées, l'Humoresque énigmatique et divagante, les intermezzi op. 4, les Nachstücke suspendus, rêveurs, les deux Carnaval, conquérants et optimistes, les deux séries des Fantasiestücke kaléidoscopiques de son, fantasques d'allure... J'arrête là, car je me demande si ce n'est pas la liste de mes ceuvres préférées de Schumann que je dresse ici: elles se confondent dans mon esprit avec la façon dont Ciocarlie les interprète.

    De toutes les intégrales que j'ai écoutées - depuis celles, publiées au mitan des années 1970, de Reine Gianoli (Adès) et Karl Engel (Valois), en passant par Peter Frankl (Vox), Jörg Demus (Nuova Eral), et jusqu'à l'étonnant Éric Le Sage, qui gagne vraiment à étre réécouté (ce que l'on ne dira pas de Gianoli et d'Engel) - Dans Ciocarlie me semble la plus accomplie. Rachmaninow, Cortot, Nat, Moiseiwitsch, Novaes, Haskil, Gieseking, Guilels, Richter, Sofronitzki, Kempff sont toujours là, et bien là, dans les opus isolés qu'ils ont enregistrés, comme les vivants sont là, eux aussi. Mais à qui voudrait visiter l'œuvre escarpée de Schumann avec un guide inépuisable au regard perçant, Dana Ciocarlie s'impose.

  • “Marathon pianistique”

    Intégrale de l'œuvre pour piano de Schumann, paru en octobre 2017 chez La Dolce Volta

    Sportive de haut niveau, Dana Ciocarlie insuffle élan et grâce à l’œuvre pour piano seul du romantique Schumann.

    Lorsqu’elle était adolescente en Roumanie, où elle est née en 1967, Dana Ciocarlie était promise à un destin de nageuse professionnelle. Sa passion pour le piano a finalement pris le pas (tant mieux pour nous), mais l’on ne peut s’empêcher de retrouver quelques traits de la sportive de haut niveau dans ce coffret-somme, qui rassemble l’intégrale des pièces pour piano seul composées par Robert Schumann (1810-1856). Dana Ciocarlie a beau connaître intimement l’œuvre de Schumann, il fallait oser se « jeter à l’eau », comme elle l’écrit dans le livret : quatre ans et demi de récitals enregistrés live, « sans filet », au même endroit (la salle Byzantine du palais de Béhague, qui abrite l’ambassade de Roumanie à Paris), sur le même type de piano (de beaux Yamaha CFX, soigneusement préparés), l’ingénieur du son François Eckert assurant la cohésion artistique et sonore de l’ensemble. Et pour mener l’expédition à son terme, bien sûr, un travail personnel phénoménal. « J’avais le sentiment de participer aux jeux Olympiques tous les six mois », dit drôlement Dana Ciocarlie.

    Le résultat est époustouflant. Des Papillons légers, pleins de vie et de mélancolie qui ouvrent cette traversée schumanienne, jusqu’aux Quatre Fugues qui la referment, tout semble emporté dans une sorte d’élan, de souffle vital, sans que jamais soient aplanies les variations de rythmes et d’humeurs, essentielles dans cette musique aussi complexe et tourmentée que l’était son auteur. Pièces de l’intimité, les Scènes d’enfants révèlent une tendresse absolue, dépourvue de toute mièvrerie. Le Carnaval, lui, est aussi animé et ambigu qu’on peut le souhaiter. A la fois brillante, élégante et anxieuse, la Fantaisie op. 17 déploie tout une fresque mentale. Et les ex-apprentis pianistes seront probablement saisis d’une nostalgie jalouse à l’écoute de l’Album pour la jeunesse tant Dana Ciocarlie met de grâce et d’imagination dans ces miniatures faussement simples. De disque en disque, les climats varient sans cesse en fonction des états d’âme du compositeur, mais la gestion du rythme ne faiblit jamais, et le son reste ample, riche, lumineux. De la belle ouvrage, et l’occasion de (re)découvrir, jusque dans ses recoins les plus discrets, une œuvre exubérante et contrastée.

    Dana Ciocarlie joue Schumann avec l’Orchestre Colonne le 21 octobre au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris.

  • “Dana Ciocarlie main dans la main avec Schumann au Théâtre des Champs-Élysées”

    Intégrale de l'œuvre pour piano de Schumann, paru en octobre 2017 chez La Dolce Volta

    On sait à quel point la Roumanie est une terre d’élection du plus grand piano : Haskil, Lipati, et plus près de nous Lupu, Grigore ou Vieru s’y sont illustrés. Dana Ciocarlie ne dément pas de cette tradition, s’imposant aujourd'hui comme une interprète majeure de Schumann : justesse de ton, engagement expressif, technique qui en fera rougir plus d’un, ce sont là les attributs d’un maître patenté de ce répertoire ô combien fuyant. Nous étions samedi dernier au concert qu’a donné l’artiste au Théâtre des Champs-Élysées à l'occasion de la sortie de son intégrale live chez la Dolce Volta.

    Dana Ciocarlie a l’art du phrasé Schumannien infus. La liberté, la vitalité, la jeunesse intacte font de ses Kinderszenen un moment de pur grâce. Loin des interprètes qui se complaisent dans une sage et poétique distanciation, ou veulent imposer à ses pages leur logique d’adulte, Dana Ciocarlie ne craint pas les légères brusqueries d’humeur, les pirouettes de phrasé. Elle vit pleinement chacun de ses traits, oublieuse de ce qui précède, ne fixant son attention que sur ce qui naît sous ses doigts. Traitées avec tant de caractère, les scènes d’enfant semblent repousser les murs de leur modeste enveloppe. Et la variété d’humeur qu’y met la pianiste donne parfois l’étrange illusion de les découvrir : rien n’est reconstitué, tout est vécu comme au premier jour. Ciocarlie captive avec un Hasche-Mann (Colin-maillard) au séquençage comme improvisé, merveille de vitalité naturelle. Kind im Einschlummern (L’enfant s’endort) trouve en elle une chaleur hypnotique. Elle parvient à préserver une réelle simplicité dans Der Dichter spricht (le poète parle), tirant son relief d’un savant usage des silences.

    La voilà bientôt qui donne de la chair à son Carnaval tout en parvenant à préserver l’unité massive de l’oeuvre. Une certaine hardiesse de timbre, doublée d’une verve rythmique (culminant dans une héroïque Marche des “Davidsbündler” contre les Philistins) donne aux épisodes les plus vifs une carrure grandiose. C’est déjà un fait de virtuosité remarquable que de maintenir une telle agilité et limpidité des traits dans partition si touffue ! Mais c’est loin d’être la seule vertu de Dana Ciocarlie. Dans ce qu’on entend, le véritable maître-d’oeuvre reste l’esprit (là où d’autres se laissent “guidés” par leurs doigts). Les oppositions si caractérisées qui font tout le sel de cette oeuvre, ne le seront jamais à outrance : Ciocarlie trouve régulièrement une “troisième voie” au manichéisme (son Florestan prend le temps de la rêverie, Estrella bombe aristocratiquement le torse ).

    Dans le Concerto, c’est l’assise profonde, la certitude tranquille qu’elle met à son thème. Ce qui n’empêchera pas sa main droite de s’en échapper régulièrement, voletant gaiement autour de l’édifice. Nul besoin d’accuser les angles, aucune chance de tomber dans la routine, Dana Ciocarlie est une risque-tout de l’expression musicale : il nous suffit d’attendre le Finale pour que tout s’envole sous ses doigts ! Dommage seulement que l’Orchestre Colonne, par son peu de subtilité et d’engagement, brime sans le vouloir la soliste dans son élan. Aurait-il fallu se mettre en frais d’un orchestre moins chiche pour nous présenter ce concerto (et par là même, la soliste) sous son meilleur jour ? Heureusement, tout cela n’est plus qu’un lointain souvenir après une Novelette n°2 joliment déhanchée que nous offre la pianiste en bis, avant de conclure par un clin d’oeil à la Roumanie (Toccata de Paul Constantinescu)

    Une invitation au cœur du piano Schumannien, pour un voyage qui, à travers cette turbulence contrôlée et sa totale liberté de respiration, a quelque chose de profondément généreux.

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  • “Schumann par Dana Ciocarlie (suite et fin)”

    Concert au Théâtre des Champs-Élysées, Paris

    ON SE SOUVIENT QU’EN 2012 Dana Ciocarlie avait inauguré une série de récitals consacrés à Schumann dont nous avions déjà rendu compte. Elle a persisté, avec régularité, en nous offrant au total quinze récitals, tous enregistrés dans la salle Byzantine de l’hôtel de Béhague, qui abrite l’ambassade de Roumanie à Paris. Ce qui nous vaut aujourd’hui un coffret de treize disques, lequel reprend l’ensemble de ces enregistrements effectués sur le vif et nous permet de nous replonger dans l’un des univers les plus divers, les plus tourmentés aussi de la littérature pour piano du XIXe siècle. À la suite de Beethoven et de Schubert, Schumann est en effet, avec Chopin et Liszt, l’un de ceux qui ont le plus apporté au piano, l’un de ceux qui se sont le plus confiés à lui également. L’aveu, littéraire ou amoureux, n’est chez lui jamais très loin.

    Pour saluer cette parution, Dana Ciocarlie donnait le 21 octobre dernier un concert au Théâtre des Champs-Élysées. Un récital-concert, plutôt, puisque la première partie était consacrée à deux des œuvres pour piano seul les plus célèbres de Schumann, et la seconde au Concerto pour piano et orchestre.

    Schumann a laissé bien des œuvres magnifiques pour piano, qui sont rarement à l’affiche des salles de concert (l’Humoresque, les Nachtstücke, les Phantasiestücke op. 12…), mais Dana Ciocarlie a préféré choisir deux cycles qui nous sont familiers, par ailleurs on ne peut plus différents l’un de l’autre. Les Kinderszenen (« Scènes d’enfants ») sont toutes de nostalgie, même au sein des épisodes les plus joyeux ; le Carnaval op. 9 (qu’on ne confondra pas avec le Carnaval de Vienne, dont l’Intermezzo est l’une des plages les plus fiévreuses de Schumann) est l’un des cycles les plus fantasques, les plus bariolés, les plus riches, également, sur le plan mélodique ; rarement Schumann a fait preuve à ce point d’élégance dans « Eusebius » ou la « Valse noble », et Dana Ciocarlie rend à merveille tout ce qu’il peut y avoir d’ambigu dans ces pages brillantes qui ne cherchent pas à cacher les soleils les plus noirs. Elle souligne les ruptures dynamiques et surtout rythmiques, elle télescope les humeurs sans solliciter excessivement le texte, elle nous offre une « Chiarina » pleine d’autorité passionnée, sans escamoter les reprises, ce que ne font pas tous les pianistes. La Marche finale contre les Philistins, page dans laquelle Schumann semble s’enivrer de son propre triomphe, est menée avec éclat mais sans emphase. Car Schumann, aussi troublé que fût son esprit, n’était pas qu’un torrent fougueux : des esprits malins se cachaient dans son lit et eurent à la fin raison de lui.

    Novelette renouvelée

    Le Concerto en la mineur, joué en seconde partie, est l’une des rares pages entièrement radieuses, avec peut-être la Première Symphonie, sorties de la plume de Schumann. Tout ici est épanoui, juvénile, conquérant, loin des ombres et des obsessions qui lestent les plus tardifs concertos pour violon et pour violoncelle. Dana Ciocarlie s’en donne à cœur joie, en compagnie d’un orchestre volontairement peu fourni : les bois par deux, deux cors, deux trompettes, un timbalier, les cordes, et voilà tout. Les musiciens de l’Orchestre Colonne ne cherchent pas la confrontation, les cordes soutiennent la soliste, la clarinette et le hautbois trouvent de beaux accents, mais on aurait aimé que Frédéric Chaslin discipline un peu l’un de ses deux cors, aux accents parfois appuyés, et fasse davantage chanter ses trompettes. Schumann n’a pas la réputation d’un orchestrateur hors pair, encore faut-il lui donner toutes ses chances.

    Deux bis achevaient la soirée : la Deuxième Novelette, d’abord, page sagement construite selon la forme ABA mais d’une virtuosité redoutable, et qu’on sait gré à Dana Ciocarlie de nous avoir fait entendre. Car les Novelettes, trop longues pour être jouées dans la continuité, déconcertantes si l’on se contente de n’en donner que deux ou trois (il y en a huit en tout), méritent de retrouver le chemin des programmes. Une page de Paul Constantinescu (1909-1963), enfin, était là pour nous rappeler que la musique roumaine ne s’arrêta pas à Enesco.

    Dana Ciocarlie est née à Bucarest. Son Schumann, au fil des rendez-vous qu’elle nous a fixés, a voyagé le long du Danube, du Rhin et de la Seine. Il est l’enfant de l’Europe tout entière.

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  • “Dana Ciocarlie une « grande dame » du piano”

    Concert à La Passerelle, Saint-Brieuc

    Le concert de rentrée de la nouvelle saison « musique classique » avait lieu jeudi à La Passerelle. Les mélomanes étaient nombreux dans le Petit Théâtre pour assister à un récital de Dana Ciocarlie, une « grande dame » du piano dont la réputation internationale ne cesse de s'affirmer. Ce soir-là, elle avait choisi de mettre son talent au service d'oeuvres maîtresses de Schumann, son compositeur de prédilection. Quelques mots de présentation et la voici à son instrument pour nous offrir tout au long de la soirée des moments de bonheur d'une richesse prodigieuse. D'entrée, le public s'est laissé absorber par la beauté de son jeu. La passion, les tourments du compositeur : la virtuosité de Dana Ciocarlie est éblouissante, s'exprimant avec une puissance diabolique qui soudain laisse la place à des instants de pure poésie d'une infinie délicatesse, un enchantement que les auditeurs ressentent au plus profond d'eux-mêmes dans un silence d'écoute d'une qualité rare. Magie des sons, des rythmes, des couleurs... l'auditoire est aux anges ! Et peut libérer son enthousiasme, conscient d'avoir pu savourer des instants d'exception. Les applaudissements redoublent et toujours avec la même gentillesse, la même simplicité, l'artiste nous offre trois pièces dont une contemporaine de Ligeti, cerise de plus sur le gâteau !

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  • “Au diapason avec l'âme torturée de Schumann”

    Intégrale de l'œuvre pour piano de Schumann, paru en octobre 2017 chez La Dolce Volta

    La pianiste Dana Ciocarlie perce à jour la personnalité fantasque et instable du compositeur dans cette nouvelle intégrale de son œuvre pour piano seul.

    Schumannienne de cœur, Dana Ciocarlie a réalisé en public durant plus de quatre ans l'enregistrement de l'intégrale pour piano de son compositeur de chevet. Au-delà de l'exploit, elle pénètre l'esprit d'un musicien avant tout poète et sujet aux variations d'humeur par une interprétation vibrante, véritable condensé d'énergie et de passion communicative. En 1996, Dana Ciocarlie obtenait un Grand Prix au Concours Schumann de Zwickau, une étape capitale dans son cheminement dont cette gravure constitue l'aboutissement.

    Un état d'esprit

    Devant le public de la salle du Palais de Béhague, à l'ambassade parisienne de Roumanie, elle a méthodiquement engrangé, sur un piano Yamaha bien harmonisé, une intégrale en quinze concerts qui perce les secrets de l'âme schumannienne. Il faut en effet une disposition d'esprit particuliere pour entrer en sympathie avec un univers empreint de mystères, d'angoisse, d'allusions, de masques, de réminiscences, entre la mélancolie d'Eusebius et l'enthousiasme de Florestan.

    Des Variations Abegg op. 1 aux dernières pièces envahies par l'insécurité et l'instabilité de la détresse psychologique (Chants de l'aube op. 133), la prouesse est de taille, qui consiste à maitriser un discours parfois arachnéen, aux limites de la rupture (Sonates 2 et 3). On appréciera tout particulièrement l'urgence passionnée d'une lecture qui sait garder la tête froide, mais ne laisse jamais indifférent (Etudes symphoniques op. 13, Bunte Blätter op. 99).

    Les difficultés techniques innombrables semées en chemin (Études d'après des caprices de Paganini op. 3 et op. 10) sont maitrisées par un jeu orchestral dense, mais très équilibré, qui attache du prix aux complexités polyphoniques (Quatre Fugues op. 72). Le sens de l'architecture n'est pas en reste (Fantaisie op. 17), parfois au détriment du caractère fantasque (Novelettes op. 21), et les pièces fugaces (Albumblätter op. 124, Album pour la jeurusse op. 68) prises au sérieux, sans aucun relâchement. La générosité, l'humanité se dégagent toutefois tout au long de ce parcours, mélange de ferveur et de simplicité de ton (Carnaval op. 9, Davidsbündlertänze). Parmi les intégrales, la vision de Dana Ciocarlie impose une conception personnelle et captivante, qui rend justice à la fibre schumannienne. Aux côtés de Karl Engel (Valois-Astrée), Jörg Demus (Nuova Era), Reine Gianoli (Adès-Accord), Eric Le Sage (Alpha), voire André Krust (BNL-Syrius), cette nouvelle version, très bien enregistrée et convaincante, occupe une place de premier plan.

  • Schumann, l’amour et la vie d’une pianiste, interview avec Dana Ciocarlie

    Interview

    Dana Ciocarlie évoque la manière dont elle a enregistré en public cette intégrale dans le cadre magique du théâtre byzantin de l’ambassade de Roumanie (un coffret de 13 cd pour le label La Dolce Volta). 15 concerts donnés entre 2012 et 2016. Dana Ciocarlie, qualifiée de Schumanienne par André Boucourechliev, nous dit ce que, pour elle, ces termes peuvent sous entendre. La pianiste nous parle de sa longue passion pour Schumann, des oeuvres qu’elle a découvertes à l’occasion de cette intégrale, des raisons d’un enregistrement en public. Sans oublier certains grands pianistes roumains, ses liens avec Christian Zacharias, et le concert qu’elle donnera aux côtés de l’orchestre Lamoureux dirigé par Frédéric Chaslin le 21 octobre prochain au Théâtre des Champs Elysées (concerto pour piano, Carnaval et Scènes d’enfants).

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