Lekeu, Magnard
Sonates pour violonAr Ré-Sé, 2006

D’un seul archet, les deux élégies
En guise de Prologue : août 1889, Bayreuth…
…sur la « colline verte » où trône le Festpielhaus, achevé voilà quinze ans d’après les volontés de Richard Wagner, deux compositeurs font connaissance. Comme tant d’autres en cette Europe frappée d’une violente fièvre wagnérienne, ils ont sacrifié au pèlerinage bayreuthien pour assister aux représentations de Parsifal, Tristan und Isolde, et Die Meistersinger von Nürnberg. Un ami commun fait les présentations : Théodore de Wyzewa, l’un des beaux esprits de Paris, écrivain, fondateur de la célèbre Revue wagnérienne. Les deux jeunes gens s’appellent Guillaume Lekeu et Albéric Magnard, ils ont dix-neuf et vingt-quatre ans. Et l’avis que porte le premier sur le second ne manque pas de franchise : « J’ai été présenté à l’unique élève de Vincent d’Indy, Magnard. Il ne m’a pas produit bonne impression. Je n’y ai vu ni un musicien ni un artiste, du moins dans tout ce que je lui ai entendu dire, et c’est, il semble, avant tout un esprit très fin, très parisien et boulevardier, qualité prodigieuse peut-être mais qui ne sert de rien à qui veut s’occuper de choses sérieuses. D’ailleurs je crois que je lui ai fait triste impression. Je crois que je suis peu sociable, c’est dégoûtant. »
Loin d’être fortuite, cette rencontre à Bayreuth est significative des débats qui agitent alors les milieux musicaux. Une question, une seule, les résume : pour ou contre Wagner ? Massenet fait le voyage pour s’assurer qu’il a bien raison de ne pas céder aux sortilèges du « vieux Klingsor », d’Indy au contraire vient communier à la grandeur du drame lyrique – et tous deux, ainsi que le raconte Magnard, se font d’hypocrites courbettes entre deux sarcasmes. Ainsi vont les petites affaires de la vie musicale parisienne vue de Bayreuth. Lekeu et Magnard, quant à eux, s’abîment dans l’œuvre de Wagner, dont ils feront une part capitale de leur héritage. On ne sait quasiment rien des rapports qu’ils entretiendront après leur première entrevue, et cela importe peu : l’essentiel est de les voir déjà prendre position dans les milieux artistiques. Parmi les mille routes qui s’offraient à eux, leurs chemins ne seront pas sans points communs…
- Guillaume Lekeu, Sonate en sol
- Albéric Magnard, Sonate opus 13
Avec Irina Muresanu (violon)