Franz Schubert
Letzte Sonate / Drei KlavierstückeL'empreinte digitale, 1997

Schubert a consacré sa vie au désir impérieux d’exprimer la musique qu’il sentait en lui, jusqu’à l’épuisement. Il en meurt, quand après avoir terminé le «Voyage d’hiver», il écrit en quelques mois, la Grande Symphonie en Ut Majeur, les trois Sonates pour piano D 958, 959 et 960, le Quintette avec deux violoncelles, les lieder (groupés après sa mort sous le titre de «Schwanengesang»). Le musicien dont la saison symbolique serait l’hiver, s’est consumé cette année-là (1828) comme une torche, embrasé par le besoin d’écrire dans l’urgence, de dépeindre son voyage intérieur, les paysages et les pérégrinations de son âme.
Schubert n’est pas le compositeur «démiurgique tout-puissant», mais un mortel qui transcende sa condition par sa simplicité et son humanité. Il est passionné et serein. Il va directement au fond de la douleur humaine, et même au-delà de la douleur, dans les zones où agissent les forces qui nous donnent la sensation du vertige et de la chute. Ici, l’espace et le temps sont arrêtés, il n’y a plus de paroles et il n’y a même presque plus de sons (la fin du deuxième mouvement de la sonate en Si bémol). On ne peut s’empêcher de songer à la «Jeune fille et la Mort». Après un moment de révolte, la mort dissipe chez la jeune fille ses terreurs, l’entraînant, consolatrice, dans un doux sommeil.
La mort est partout présente. Ce pressentiment donne à Schubert force et équilibre, elle lui donne aussi la vision d’une paix, d’une douceur, d’une tranquillité hallucinées qui nous sont quasiment insoutenables. Schubert est aussi celui qui s’abandonne à l’œuvre, qui accepte de ne pas tenir le discours serré, de ne pas tout maîtriser. Par moment, en jouant cette musique, nous avons l’impression de l’improviser. Parfois, le compositeur perd son chemin, parfois il a peur et accepte que l’auditeur soit témoin de ses recherches. Il s’agit de restituer la vibration (quand Schubert composait, ses amis disaient qu’il était en proie à la fièvre, à la transe) et la sensualité. Il y a une volupté particulière, au touché du piano, à «faire» le son, dans sa musique où se mêlent la beauté et la pureté de la ligne de chant, la richesse et la profondeur harmonique. Au début de la sonate D 960, le premier thème monte lentement des profondeurs mystérieuses jusqu’à la surface des touches, et les doigts qui jouent ne font que donner du corps, donner une voix à cette présence sonore qui était déjà là. Jouer Schubert, c’est donner chair à cette âme enfouie sous la notation, la rendre perceptible et palpable, c’est accomplir une incarnation.
- Sonate pour piano D 960 en Si bémol majeur (1828)
- Drei Klavierstücke D 946 (1828)